Tarajal 2024 : vérité, justice et réparation

Dix ans se sont écoulés depuis l’événement tragique du 6 février 2014, au cours duquel 14 migrants ont perdu la vie alors qu’ils tentaient d’entrer sur le territoire espagnol depuis le Maroc. J’ai eu la chance de rejoindre et d’exprimer la rage et la douleur collectives à Ceuta le 3 février et de crier haut et fort : « Vérité, justice et réparation !

Les paroles de l’avocate de La Merced Migraciones, Patuca Fernández, lors de la table ronde du 3 février, ont été impressionnantes. Dans sa présentation, à la fin de la matinée, elle a déclaré, en faisant allusion à Judit Butler : toutes les vies comptent, les vies des migrants comptent, les vies des Noirs comptent et – a-t-elle poursuivi – cette vie liée à la souffrance et à l’affection nous apprend, au contraire, que l’histoire blessante et dépourvue de mémoire nous met en colère. C’est pourquoi la chose la plus terrible du 6 février 2014 n’a pas été la mort des jeunes migrants, mais le fait que leurs corps sans vie n’aient pu être secourus et qu’ils soient ensuite apparus sans visage sur les plages de Ceuta, comme des vies qui n’avaient pas d’importance et qui ont été dépouillées de leur humanité, qui s’exprime à travers leurs visages.

El Tarajal devient malheureusement un rendez-vous obligatoire tant que les autorités compétentes continueront à refuser de rendre justice aux victimes, aux familles, aux amis et aux survivants de cette journée.

Aller à Tarajal tous les mois de février avec l’association Elín, avec nos sœurs de Ceuta, avec Pro Derechos Humanos de Andalucía, les principaux mentors de la mémoire de la souffrance, de l’urgence de la recherche de la vérité et, surtout, de l’urgence de l’indemnisation des victimes des événements qui ont eu lieu, est un engagement de justice, de charité politique, de solidarité, auquel je m’identifie pleinement et nos documents l’expriment.

Je n’oublie pas non plus les propos de Viviane Ogou accusant le Nord d’opprimer l’Afrique. D’abord avec le colonialisme, qui a pris fin légalement dans les années 1960, mais sans aucun changement politique, social ou économique. Et maintenant, avec le néo-capitalisme, héritier d’un système esclavagiste, qui continue à tenir en haleine les gouvernements africains, plus préoccupés par les subventions au développement que par la situation précaire de leurs citoyens. La gestion militariste des frontières de l’hémisphère nord, qui rend difficile le passage des migrants, fait 18 morts par jour selon l’association Caminando Fronteras. Les investissements dans la sécurité rendent les étapes faciles difficiles et incitent les gens à chercher d’autres voies qui mènent à une mort certaine.

Les côtes de Cadix témoignent des 150 migrants décédés en 2023 et d’autres dont les corps n’ont pas été retrouvés et restent oubliés. Des personnes sans visage, des personnes qui ne comptent pas, des personnes dont les proches attendent probablement un coup de téléphone. Des personnes que, pour une année de plus, nous sommes déterminés à nommer et à renommer afin de contribuer, par notre mémoire, à la dignité qui leur est refusée.

Tarajal, le nom d’une plage, d’un poste frontière, devient un espace et un symbole de solidarité, de fraternité, d’empathie avec la douleur qui continue de dévaster les vies de ceux qui attendent toujours Vérité, Justice et Réparation de la part du gouvernement espagnol et de ses institutions.

Cati Bueno, Vedruna, JPIC Axis